dimanche 9 mars 2008

l'ile du diable : chapitre 1

L'ile du capricorne



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Mon père avait décidé de conquérir le nouveau continent, comme tout les bourgeois de mon pays et de mon époque, il disait que c'était : " l'appel du nouveau monde, richesses et liberté ".
Il était veuf et cela depuis ma naissance, hélas ma mère était morte en couche et je sais qu'il ne s'en consola jamais.
J'étais devenu, en grandissant, ce qu'on pouvait appeler une enfant modèle, je m'occupais de notre demeure ainsi que de la boutique de père afin de lui faciliter la tâche.
Malgré tous mes efforts j'avais l'impression qu'il cherchait à retrouver en moi ma mère. Il m'en voulait inconsciemment sans doute, mais pour lui je serais toujours coupable de cette disparition trop rapide.
Jamais un jour ne passa sans que je sentis dans ses caresses, dans ses baisers, l'étreinte amère du regret qui les rendaient plus tendrement désespérés.
Je lui avais ôté son unique amour, comment après cela pouvait-il encore m'aimer ? Je me haïrais si je pouvais le faire, si j'en avais le courage …

Le 19 mars 1545 (je m'en souviens fort bien car ce fût en ce jour que bascula ma destinée), nous embarquâmes à bord de "l'Espérance", un navire de notre bon roi François Ier qui allait exaucer les vœux de richesses et de liberté d'une centaine de colons en les emmenant dans cet endroit qu'on appelait "Nouvelle France" en province d' Arcadie.

**

Le quai était sombre et plein de monde, le soleil se levait tout juste lorsque nous arrivâmes à l'orée du port du Havre.
A l'instant où je mis pied à terre le soleil naissant éclairait la grande voilure du navire, les voiles blanches étaient empreintes d'une couleur ocre et semblaient s'embraser à chaque fois que le soleil y posait ces rayons.
" Quel immense bâtiment ! ". Cette remarque m'échappa et mon père me sourit. Comme j'étais naïve, le premier navire, que je voyais, était là devant mes yeux, faisant face au soleil dans toute sa splendeur, et moi je n'y voyais qu'une vulgaire bâtisse.
Le quai s'anima plus vivement encore avec les premiers rayons, que de bruits, d'agitations. Des centaines de marins chargeaient le navire de toutes sortes de choses, bétail, graines, eau, nourritures … esclaves …
Quelle belle horreur ! Des dizaines d'hommes et de femmes aux teints sombres avançaient vers le navire pieds et poings liés, enchaînés les uns aux autres. Leurs dos courbés, leurs visages amincis par la faim et leurs corps décharnés laissaient apparaître leurs silhouettes osseuses. Le soleil les noyait sous sa puissante lumière, un flot de sang semblait couler de leur peau frappée si durement par l'astre du jour, une rivière rouge, bruyante, qui s'en allait vers les cales de l'Espérance.
Les passagers commençaient déjà à monter à bord. Tirant mon père par le bras, nous nous dépêchâmes de monter nous aussi sur ce navire splendide qui faisait l'émerveillement des pauvres du port.
Une fois à bord, je fis rapidement mon tour d'inspection passant du pont principal à la proue puis à la poupe mais les cales, d'où émanait un murmure incessant, étaient interdites d'accès.
Malgré la déception d'une telle interdiction, je me sentais comme une princesse à bord de son palais flottant.
Le navire partait enfin, je fis de larges signes aux hommes sur le quai comme il en était usage… Mon monde s'éloignait doucement, peut-être pour toujours, laissant place à une mer d'un bleu azur.
J'étais transporté de bonheur, mon cœur battait à se rompre, rien ne me faisait plus plaisir que de voyager comme ça sur les eaux, ce domaine incontrôlable et belliqueux.
C'est un peu comme si j'étais la compagne d'Apollon sur son char de feu voguant vers l'astre solaire.
Je ne pouvais détacher mon regard de cet horizon embrasé, une puissance rassurante m'enveloppait, comme si j'étais la reine des océans…si seulement cela était vrai.

Après dix jours en mer, sous la tutelle bénéfique des dieux, une terrible tempête fit rage.
Le ciel s'illuminait de mille feux sous le chahut sonore des éclairs divins… se déchaînant contre nous pauvre pêcheur au milieu des eaux indociles et vagabondes….
Le navire tanguait avec une violence titanesque. Les marins refermaient les voiles à la hâte et s'affairaient sur le pont principal. On les entendait hurler des ordres depuis les cabines, mais leurs efforts étaient vains et les éléments redoublaient de leur violence meurtrière. Un hurlement couvert à demi par le cri du vent venant de se faire entendre, le marin posté en haut du grand mât venait de tomber, s'échouant au cœur des vagues en furie.
Au bout de quelques heures, ils n'eurent plus guère le choix, il fallut abattre les mâts pour nous donner une ultime chance de survivre. Mais rien n'y faisait, les vagues avaient projeté l'embarcation sur les récifs et l'eau pénétrait désormais habilement la coque.
L'Espérance sombrait dans les eaux tumultueuses, rien ne nous était donc épargnés.
Partout des cris, des hurlements d'hommes et de femmes terrorisés, certains courraient affolés sur le pont, d'autres aidaient les marins débordés. Mon père était de ces hommes, moi aussi je voulais les aidés, je devais le faire, mon père était seul, dehors face à la mort, il aurait besoin de moi…mais une vague submergea le pont et je fus projeté dans l'eau.
Je vis le navire de nouveau submergé par les eaux et brusquement le ligne de flottaisons fut sous le niveau de l'eau, L'Espérance riche et puissant navire finit par être mis en pièce par l'animosité incontrôlable des lames marines. Tout sans exception fut englouti par les eaux noirs.
Mon père, il est… Non !
Et moi seul en mer, ballotté au gré des vagues, luttant contre l'eau et le froid…
Épuisée, je perdis connaissance, du moins je crois…










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